Passe l’impasse

Affaires Plus –  Juillet  2001
PASSE L’IMPASSE
Par Nicole Côté

Il arrive des moments où les processus les plus efficaces et les plus harmonieux flanchent…
Ainsi, pour la première fois depuis 30 mois, je suis à sec.  La date de tombée de ma chronique est largement dépassée.  Je suis fatiguée.  Ma motivation à produire est plus de l’ordre du sens des responsabilités que de l’inspiration et du plaisir.  J’ai fouillé dans ma banque de thèmes, j’ai fait deux ou trois ébauches, sans succès.  C’est l’impasse.
L’impasse… je m’en passerais bien.  Mais puisque je m’y retrouve, pourquoi pas en faire le thème du mois ?
L’impasse c’est une situation sans issue.  On la vit quand on se retrouve dans un cul-de-sac, devant un obstacle qui nous apparaît insurmontable ou une échéance impossible à respecter.  Plus on regarde le mur, plus il grandit, plus le temps passe, plus la pression augmente, plus on y pense, plus on est angoissé.  On en vient à ne plus pouvoir avancer ni reculer.
Que faire de l’impasse ?  À cette question, mon mentor aurait répondu :  « Stay with it and go with it ».
Accepter l’impasse
Le début de la sagesse c’est de ne pas se battre contre la réalité et d’admettre le fait que l’on est en panne et qu’on a relativement peu de moyens pour s’en sortir.
Il faut donc éviter de perdre son temps et son énergie à se lancer dans toutes les directions ou à se demander pourquoi on se retrouve devant un mur.  La situation peut dépendre de soi, des autres ou d’une mauvaise configuration des planètes, peu importe.  Chercher la cause ne servirait pas à grand chose.  La seule solution est d’évaluer la hauteur et l’épaisseur du mur et de se poser rapidement la question des choix possibles.
Dans le cas qui nous intéresse, plusieurs choix se présentent :
M’écraser
Je peux regretter ce qui m’arrive, me sentir coupable, me blâmer, me dévaloriser et me faire des peurs.  Je peux aussi en vouloir à mes parents, à ma rédactrice en chef, à ceux qui lisent la revue… et déprimer.
Décrocher
Un second choix consiste à me déclarer temporairement invalide et à prendre congé.  Après tout, c’est la chronique de juillet.  Tout le monde a droit à des vacances.
Me débarrasser
Il serait possible d’être expéditive, de ressortir un vieux texte de mon cru et de le rafistoler en sachant que ça ne donnera rien, ni à moi, ni aux autres.
Tricher
Je pourrais enfin sans doute traduire à la sauvette un article écrit dans un magazine étranger, me l’approprier, l’adapter élégamment à ma sauce.
Toutes ces solutions sont viables, mais à un prix que je ne suis pas prête à payer.  La dépression me ferait payer de mon équilibre, le décrochage, de ma loyauté, la médiocrité, de mon estime de moi et la tricherie, de mon sens de l’éthique.  Il ne reste qu’un autre choix, celui de faire face à l’impasse, d’y entrer de plein pied.
Vivre avec l’impasse
Le seul moyen de se rendre ailleurs, c’est de partir d’où on est.  Il faut donc commencer à communiquer et à agir le plus authentiquement possible selon ce que l’on est, ce que l’on sait ici et maintenant.
Certains diront que c’est un grand risque que de dire aux autres qu’on est dans l’impasse, car on expose ses limites et sa vulnérabilité.  Mais il m’apparaît encore plus périlleux de promettre ce que l’on ne peut livrer ou de prétendre disposer d’une énergie ou d’un génie qu’on n’a pas.
D’autres s’objecteront à adopter une approche aussi personnalisée.  Pourtant, c’est en étant personnel qu’on est souvent le plus universel.  La plupart des gens se sont retrouvés ou se retrouveront un jour dans une situation difficile.  Ainsi, si un président d’entreprise ose partager ses inquiétudes ou son épuisement avec son équipe face à ses problèmes, il est probable qu’il réalisera qu’il n’est pas le seul à vivre de l’insécurité et de la fatigue.  Le fait qu’il avoue ses faiblesses donnera implicitement à ses collaborateurs le droit de ne pas être « parfaits » et ouvrira la porte à une recherche conjointe de solutions, un véritable processus de travail en équipe.
Dépasser l’impasse
La traversée du mur du son ne saurait se faire en solo.  En effet quand on atteint une limite on a la plupart du temps besoin de l’aide des autres pour imaginer de nouvelles avenues, recharger ses batteries et entreprendre des changements.  Qu’on soit en position de gérer une équipe ou de servir des clients, il faut avoir la sagesse et l’humilité de leur demander de participer aux transformations qui s’imposent si on veut éviter de se retrouver dans la même impasse.
À l’aide! donc chers lecteurs.  Si vous avez quelques minutes pendant vos vacances pour penser à des thèmes que vous aimeriez me voir aborder ou à des questions que vous vous posez, s’il vous plaît faites-moi des suggestions.  Ma chronique ne deviendra pas pour autant un courrier du cœur.  Elle gagnera simplement en pertinence et en intérêt.