Quand l’histoire se répète

Affaires Plus –  Mai  2001
QUAND L’HISTOIRE SE RÉPÈTE…
Par Nicole Côté

« Chassez le naturel, il revient au galop » dit-on.  « Fuyez vos problèmes, ils vous rattrapent dans le détour » pourrions-nous ajouter.
Voilà ce dont je discutais avec une jeune femme, cadre supérieure de grande entreprise, qui après avoir claqué la porte suite à une mésentente profonde avec son patron se retrouvait, quelques fusions et quelques acquisitions plus tard, sous la coupe du même patron.  «Cette fois, lui dis-je, tu vas devoir régler le problème correctement sinon tu risques de faire face à quelqu’un de pire la prochaine fois.»
Les coïncidences ne sont pas toujours aussi spectaculaires, mais il est vrai que l’histoire se répète souvent.  Il n’est pas rare qu’un individu divorce d’un conjoint négatif et abusif pour se précipiter dans les bras d’un second partenaire qui, sous des apparences différentes, s’avère être plus néfaste que le premier.
La théorie de la Gestalt explique ce phénomène par la tendance de l’organisme à finir ce qu’il commence, à compléter les expériences non réglées.  Ainsi, les besoins insatisfaits ne disparaissent pas; ils retournent dans l’inconscient, se placent en liste d’attente et ressurgissent un jour ou l’autre dans l’espoir d’en arriver à une conclusion satisfaisante.  C’est la notion «d’unfinished business».
Nous avons tous notre lot de situations non terminées.  Ces «affaires» sont en quelque sorte des programmes inconscients qui manifestent leur existence en nous replaçant régulièrement devant les mêmes dilemmes.  Elles se déguisent en hasards fâcheux, en échecs répétitifs ou en missions impossibles.  Face à celles-ci, nous pouvons être totalement lucides comme absolument aveugles.  Elles peuvent nous inquiéter, nous agacer quelque peu ou nous empoisonner carrément l’existence.  Dans tous les cas, elles bouffent notre énergie et restreignent notre liberté.

Reconnaître « l’affaire »
Parmi l’ensemble de nos tracas et de nos défis, le vieux problème se reconnaît à plusieurs indices :
La familiarité de l’inconfort :
On se retrouve une fois de plus, révolté, tiraillé, abandonné, trompé, appauvri, un peu comme s’il s’agissait d’une zone d’incompétence chronique.  On rencontre systématiquement les mêmes obstacles dans son rapport à l’autorité, au succès, à l’argent, à l’engagement, à l’intimité amoureuse ou autre.
L’intensité de la réaction :
La situation est prenante, parfois même obsédante.  L’activité mentale est prolifique.  On imagine une multitude de scénarios tous plus catastrophiques les uns que les autres.  Les émotions s’exacerbent de manière dramatique et la réaction est disproportionnée par rapport à l’événement.
La rigidité du comportement
Il y a quelque chose de figé dans la relation avec l’autre ou les autres.  On rejoue sans cesse le même drame, on pleure, on crie, on menace, on stresse, on se sent victime et l’autre réagit de manière complémentaire.  On essaie de résoudre le problème en faisant plus de la même chose.
Le sentiment d’impuissance
On est inefficace, on a l’impression de tourner en rond.  À la longue, c’est épuisant, déprimant, dévalorisant.

Sortir de l’impasse
Nous avons tous nos « bibittes ».  L’important c’est de le réaliser et de tenter de s’en débarrasser.  Aussi faut-il, lorsque l’on reconnaît un problème récurrent, l’aborder de manière constructive en souhaitant la bienvenue à ce vieil ennemi et profiter de sa présence pour faire le ménage de son intérieur, se régénérer, apprendre sur soi, sur la vie.  C’est un beau défi qui demande du temps, du recul et de la méthode :
L’auto-observation
Cette première étape consiste à cesser de se raconter des histoires et à se décentrer de ses perceptions, des créations de son esprit pour porter attention à l’effet de la situation sur soi.  On prend alors une distance pour s’observer comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre.  On se regarde agir et réagir, sans juger, sans féliciter, sans condamner.
La souffrance volontaire
Puis, il faut accepter de ressentir les émotions qui émergent et plonger dans sa peine, sa peur, sa colère ou son désespoir.  Cela demande courage et détermination, mais c’est le prix à payer pour trouver «son» histoire.  C’est là que se font les liens avec le passé, les choix antérieurs.  On comprend alors la logique de l’illogique.
Le décrochage
Lorsqu’on a pris conscience de l’origine de son problème il importe d’en venir à une conclusion.  En replaçant les choses dans leur contexte, on peut en arriver à pardonner aux autres et à se pardonner.  C’est la seule façon de CONCLURE CETTE HISTOIRE, de l’intégrer.
L’ancrage dans le « ici et maintenant »
S’ancrer, c’est respirer, se sentir vivant au moment présent.  C’est constater son état, ses désirs, ses forces actuelles et son potentiel.  Ainsi, il devient possible d’envisager des choix différents et d’explorer d’autres manières de régler ses conflits et d’aborder les défis.
À partir du moment où on vit dans «l’ici et maintenant», chaque jour devient une histoire nouvelle dont on est l’auteur et l’acteur conscient, consentant, libre et confiant.