Qui suis-je Que fais-je?

Affaires Plus – Février 2002
QUI SUIS-JE, QUE FAIS-JE?
Par Nicole Côté

Peut-on se permettre d’être soi-même dans le monde du travail ?
Cette question, proposée par un lecteur suite à mon appel à tous de l’été dernier, peut sembler naïve, mais elle sous-tend la plupart des hésitations que l’on a à s’exprimer, à s’opposer, à se proposer, à s’exposer et à s’affirmer.
J’ai tendance à penser qu’il est généralement plus sain et plus rentable d’être soi-même que de ne pas l’être. Bien sûr, il peut parfois être prudent de se taire et de se camoufler en présence de personnes manipulatrices et imprévisibles, mais au quotidien, quand on a à vivre ou à travailler avec d’autres, la rétention et la dissimulation compliquent terriblement l’existence.

Les coûts de la non-authenticité
Il y a des gens qui se retiennent ou jouent des rôles parce qu’ils ont peur des réactions de l’autorité, du syndicat, de leurs pairs ou de leurs clients.  Si cette stratégie peut à court terme donner une illusion de contrôle et de sécurité, elle devient rapidement frustrante et s’avère la plupart du temps inefficace.  Si un patron a envie de critiquer, il le fera même si on s’efforce d’avoir l’air parfait.  Si un syndicat a décidé d’emmerder la direction, il le fera  même s’il fait face à des virtuoses de la marche sur des œufs.
Certains n’osent jamais avancer leurs idées par crainte de l’erreur ou du ridicule.  Ce faisant ils privent leur équipe d’un apport intéressant et se privent eux-mêmes de la reconnaissance que récoltent des collègues qui ont la générosité et le cran d’exprimer ces mêmes points de vue par la suite. D’autres  se déguisent carrément pour plaire aux autres. Cette stratégie est plus compliquée que celle de se présenter sans masque.  Elle est aussi plus hasardeuse, car rien ne garantit que le déguisement plaira plus que le naturel.

Pourquoi est-il si difficile d’être soi-même ?
Nous vivons dans un monde d’images et de modèles. La littérature populaire et la publicité n’ont de cesse de nous bombarder de slogans sur ce qui est « tendance  ». Tout le monde s’y laisse un peu prendre… même dans les milieux où il est chic d’être anti-conformiste.
Dès notre plus tendre enfance, on nous évalue par rapport à des moyennes. Tout le monde rêve d’un poids moyen, d’une intelligence au-dessus de la moyenne. Il devient difficile de se connaître soi-même, car on a trop de chiffres pour se comparer et trop peu de mots pour se décrire.  Plus tard, dans l’entreprise, on nous présente des profils de compétences qui camouflent souvent des codes de comportements stricts et conventionnels. Vaut mieux être jeune et ambitieux que vieille et équilibrée, sérieux et exigeant que zen et indulgent.
Pour couronner le tout, les horaires déments et l’omniprésence des gadgets de communication favorisent peu l’intimité avec ceux qui pourraient nous servir de miroir et le silence qui permettrait la  réflexion sur soi.

Être soi-même, c’est quoi au juste ?
Être soi-même ce n’est pas l’opposition de l’adolescent qui crie « j’existe, j’ai le droit » ni la complaisance de l’épais qui  vous inflige des  « j’ai mauvais caractère, je suis fait   de même, c’est pas de ma faute » et s’encapsule dans sa médiocrité.
Être moi-même, c’est tenter d’agir et interagir selon ce que je sens, ce que je pense, ce que je veux et ce que je peux.  C’est donner mon opinion lors d’une discussion, c’est aussi changer d’idée si l’argument d’un autre me convainc. C’est exprimer mes sentiments, manifester clairement mes besoins, respecter mes priorités. C’est agir en conformité avec mes valeurs et mes principes. C’est prendre ma place, me permettre d’être spontané et d’affirmer mon style. C’est me situer comme individu unique tout en étant conscient d’être un parmi d’autres.
Être soi-même, c’est en quelque sorte un processus d’alignement conscient, dynamique continu et évolutif qui implique une présence et une volonté de contact authentique avec soi-même et avec les autres. C’est un choix lucide, un choix exigeant certes, mais qui donne un sens personnel aux événements, la sensation d’être libre et responsable et qui a finalement beaucoup de bon sens si on accepte que rien n’est jamais parfait ni statique.
Parfois tout est clair, parfois tout est confus. On est tantôt aligné, tantôt désaligné, tantôt confortable, tantôt inconfortable. Il suffit de s’en apercevoir et d’agir en conséquence au meilleur de sa connaissance et de ses capacités.