Affaires Plus – Février 2007
Par Nicole Côté
On finit par se lasser des modes américaines dans le prêt-à-porter managérial : responsabilisation, vision, passion, inspiration, mettez-en, ce n’est pas de l’onguent!
En matière d’inspiration, j’ai expérimenté cette semaine le chaud et le froid. Le chaud : la rencontre de deux entrepreneurs en construction qui concilient avec bonheur les demandes pressantes de clients obnubilés par la vitesse de leur BlackBerry et la réalité d’ouvriers qui ne peuvent pas aller plus vite que leur marteau. Des hommes sensibles, intelligents, impressionnants. Le froid: la relecture des exploits et de la philosophie d’un célèbre CEO au sourire de requin qui, au nom des valeurs corporatives, prêche la mise au rancart des lents et des faibles et qui harangue ses troupes en leur disant de partir en guerre et surtout, de demeurer candides.
Il y a des leaders qui ont de nombreux adeptes, mais combien d’entre eux sont de réelles sources d’inspiration?
C’est à la qualité de son impact qu’on peut juger de la capacité d’un leader à inspirer les autres. Un conférencier a beau être éblouissant, quel effet a-t-il sur vous? Est-ce qu’il vous cloue sur votre siège ou est-ce qu’il vous donne des ailes? À la sortie de la conférence, êtes-vous porté à répéter ses farces ou à méditer, à procurer son livre à tous vos collaborateurs ou à vous remettre en question? Un gestionnaire vous impressionne par son intelligence. À son contact, vous sentez-vous limité ou en expansion? Votre président arrive en hélicoptère pour livrer sa vision de l’avenir. Avez-vous la sensation de respirer un air frais et régénérateur ou l’intuition qu’il vous amènera à transpirer davantage ou peut-être même à expirer?
Quand un leader vous parle de passion, de vision et d’inspiration, demandez-vous s’il a vraiment quelque chose à vous apprendre. Est-il authentique, est-il cohérent ? S’agit-il d’un gros nombril ou d’un grand cœur?
Les gros nombrils et les grands cœurs diffèrent dans leur façon de voir le monde, d’entrer en relation et de communiquer.
Les gros nombrils ont une propension à voir le monde comme un champ de bataille où il y a des gagnants et des perdants, une arène où il faut absolument vaincre et convaincre. Ils se présentent comme des modèles à imiter et ont des moules à imposer. Leur style est percutant, confrontant et leur discours, truffé de slogans. Ils exercent sur les gens une espèce de fascination qui polarise l’énergie sur leur propre personne. Ils créent de ce fait une distance avec leurs interlocuteurs. C’est sans doute pour cette raison qu’ils utilisent toutes sortes de stratagèmes pour faire croire qu’ils sont proches du peuple.
Les grands cœurs, à contrario, considèrent l’entreprise comme un lieu de contribution et un milieu de vie. Ils partagent leur expérience et leur idéal et n’essaient pas de vous prouver quoi que ce soit. Ils vous encouragent à réfléchir et à trouver votre propre vérité. Ils cherchent plus à vous connaître qu’à vous en mettre plein les yeux, à discuter qu’à vous laver le cerveau. Ils sont accessibles, s’intéressent à vous. Ils ont du charisme et sont créateurs de synergie.
Si nous étions plus près de nos émotions et de nos besoins, les manipulateurs et les fumistes de tout acabit n’auraient pas de prise sur nous. Le blablabla des prêcheurs qui ont eu l’illumination lors d’un accident, d’un voyage en voilier ou d’un pèlerinage aurait moins d’attrait. Nous distinguerions nettement le vrai du faux, le contact du spectacle. Nous ne croirions pas ceux qui prétendent que si on se tutoie, si on ne porte pas de cravate, si on partage la chambre d’un collègue lors d’un congrès (économie oblige), on formera une très grande équipe. Et lorsqu’un grand patron nous dirait «Call me Jack», nous n’aurions pas l’illusion d’être admis dans le cercle des dieux.
Finalement, si nous écoutions ce que dit notre cœur, nous n’aurions plus d’oreille pour les virtuoses du cliché et nous nous collerions à ceux qui méritent qu’on leur envoi un Valentin.