Un bon chef est rarement seul

Affaires Plus –  Février 2000
UN BON CHEF EST RAREMENT SEUL
Par Nicole Côté

À une époque où l’on préconise la gestion participative et le travail en équipe, il est étonnant d’entendre encore des gens affirmer qu’un vrai chef est toujours seul.
Le patron d’un jeune professionnel, récemment promu cadre, reprochait à son subalterne d’être trop bon avec ses employés.  Il le blâmait d’avoir choisi d’aider un de ses fidèles collaborateurs, en difficulté, à trouver ailleurs dans l’entreprise une place où ses talents seraient mieux utilisés…plutôt que de le congédier illico.
«Il faut que tu t’endurcisses, lui dit-il, parce que plus tu vas monter dans la hiérarchie, plus tu seras seul.»  Quelle sombre perspective pour un jeune qui a envie de s’investir !  Et quelle erreur de jugement de la part de quelqu’un qui a autant investi !

Solitude oui, isolement non
Il serait simpliste de prétendre qu’un chef n’est jamais seul.  Tout dirigeant a besoin de moments de recueillement et de ressourcement pour pouvoir faire le point et s’organiser.  La solitude lui est souvent nécessaire.
Ce qui est négatif, c’est l’isolement, la rupture psychologique qui crée une énorme distance entre le leader et ceux qu’il dirige et peut donner lieu à des incompréhensions, des mesquineries voire des méchancetés de toutes sortes.  Lorsqu’un chef se coupe de ses employés, le lien vital de supervision, de pédagogie et de support est rompu.

Les chefs solitaires
Parmi les chefs qui créent le plus de vide autour d’eux, citons :
•    ceux qui savent tout :  ils n’ont besoin de l’opinion de personne;
•    ceux qui veulent tout savoir :  ils amènent les gens à leur cacher des choses et même à leur mentir par moments;
•    ceux qui écrasent et humilient : ils créent des climats de terreur;
•    ceux qui prennent toute la place :  ils ne laissent pas d’autre choix que de faire partie de l’auditoire qui les écoute passivement dans le noir;
•    les taciturnes et les paranoïaques: ils entretiennent la méfiance en étant silencieux et suspicieux;
•    les avares et les mesquins : ils sont réservés et se réservent par peur de devoir déverser;
•    les grands seigneurs : ils sont au-dessus de tout.  Ils entretiennent une cour d’admirateurs et s’attribuent tout le crédit du succès de leur entreprise.  Ce sont de grands «saigneurs»;
•    les lâches et les sans cœur.  Incapables d’assumer des choix difficiles, ils évitent de regarder les autres en face, de leur parler directement et de recevoir leurs réactions.

Besoin de leaders solidaires
Il existe actuellement un pressant besoin de leaders capables d’être à la fois sensés et sensibles, de s’engager personnellement avec leurs collaborateurs, de leur apporter sécurité, reconnaissance, loyauté, stimulation et inspiration. Bref, des leaders proches de leur équipe.
Être un leader solidaire c’est un peu comme être un bon parent.  C’est manifester des qualités telles que :
•    l’ouverture d’esprit;
•    le sens de l’écoute;
•    l’authenticité, la capacité de se remettre en question;
•    le courage de dire les choses, de faire les choix qui s’imposent et de vivre avec les conséquences de ses décisions;
•    la capacité d’aimer, la compassion.
La proximité avec ses employés n’implique toutefois pas d’être ami-ami avec tous, ni de faire semblant que le lien hiérarchique n’existe pas.  En effet, si le fait de devenir patron ne change pas la personne qui le devient, il change la perception que les autres en ont.  Il importe d’être conscient de cette réalité et de l’assumer.
Cela crée alors une saine petite distance entre soi et sa fonction, distance qui permet de respirer et de ne pas tout prendre personnellement.  Distance qui permet aussi à l’employé de projeter ses perceptions, ses attentes et ses craintes face à l’autorité, et donc d’avoir un patron.
Diriger est exigeant mais c’est un métier comme un autre.  Il faut l’exercer sérieusement sans se prendre trop au sérieux.  On y arrive en prenant un peu de hauteur… face à soi-même.